AGORIA (Kompakt, Innervisions – FR)

AGORIA (Kompakt, Innervisions – FR)

crédit photo by vincent thibault

S’il est un artiste à qui Lyon doit ses lettres de noblesse actuelles sur la scène électro, c’est bien Agoria. Le lyonnais, bercé au son de la scène techno de Detroit est en effet l’un des piliers des Nuits Sonores, mais aussi il est le co-créateur du label Lyonnais Infiné. Après avoir écumé tous les clubs et composé 4 albums (dont la BO du Film Go Fast) et de nombreux EP, le DJ/producteur revient en 2016 avec l’annonce d’un nouvel album. On a voulu en savoir plus..

 

1) Il paraît que les années de la quarantaine sont les plus belles à vivre, tu multiplies dates et projets, comment vis tu le passage du cap des 40 ans ?

 

En effet, je suis dans une période de ma vie qui est très heureuse, où malgré des situations macro qui ne sont pas très faciles et des tensions partout dans le monde, je suis presque gêné de dire que ce que je fais, c’est ce que j’aime. Ma vie est la vie que je souhaitais, je m’en réjouis, mais je mets ça en distance avec ce qui peut arriver en ce moment.
Je suis très heureux, je vis ma passion, je voyage beaucoup, je fais le tour du monde, je rencontre plein de gens, le public me donne beaucoup et échange beaucoup avec moi. Actuellement, il y a énormément de projets en cours, je travaille pour le cinéma, j’ai des projets pour l’art contemporain et je fais mes propres soirées un peu partout en Europe. Les signaux sont verts, donc je me réjouis!
2) Ces derniers mois, Tu as sorti des EP au sein de prestigieux labels (Kompakt, Innervisions, Ellum, Hotflush), d’où vient cette envie de diversification ? Quelles ont été tes lignes musicales directrices ?

Jusqu’à présent j’avais fait 3 albums chez Pias, et puis j’avais créé mon label, à l’époque, qui s’appelait Infiné ; forcément je sortais mes disques sur ce label là. Une fois que j’étais un peu « libéré de ces obligations », je me suis fait plaisir en sortant sur des labels que j’aime et que j’estime être cool. J’adore Michael Mayer et Kompakt donc j’étais très heureux de faire un disque chez lui, Innervisions ça s’est fait un peu parce qu’on échangeait sur beaucoup de musique, j’ai confiance dans leurs goûts musicaux. J’adore Scuba qui s’occupe de Hotflush, c’est un artiste anglais que j’aime beaucoup ; comme le morceau était un peu plus dur, je le lui ai envoyé, il a flashé et l’a sorti. Pour Ellum, on s’est rencontré avec Maceo Plex à Miami, il y a presque 2 ans et on avait bien sympathisé et on s’est dit qu’un jour ce serait cool de faire des trucs ensemble, c’est comme cela que ça s’est concrétisé.
Je me suis toujours senti libre en faisant de la musique, je fais la musique que j’aime, une fois que les morceaux sont faits, je me dis est-ce que je vais les garder pour moi pour un futur album? Est-ce que c’est un morceau qui pourrait sortir aujourd’hui? L’edit sorti sur Hotflush, c’est un morceau que j’avais fait il y a 5 ou 6 ans, ce n’était pas le bon moment à l’époque pour le sortir ; sur Hotflush ça le faisait parfaitement l’année dernière. Le morceau Baptême, au début Tale of Us voulait le sortir sur Life and Death, ils ont été très compliqués, c’est pourquoi j’ai dit : « écoutez les garçons c’est pas grave », je l’ai envoyé à Kompakt et Michael Mayer a voulu le sortir, ça s’est fait comme ça. Innervisions, là je l’avais envoyé non pas pour que Dixon le signe mais parce que je n’étais pas certain du morceau, je le trouvais un peu trop cheesy sur la mélodie, je lui ai envoyé pour savoir ce qu’il en pensait et il m’a répondu si tu veux le signer sur mon label je suis pour, voilà.
3) Tu n’as pas fait d’album depuis Impermanence en 2011, la sortie du prochain est imminente. Le long format ne te manquait pas ?

Je bosse sur beaucoup de morceaux, quand j’en ai 2-3 que j’estime pouvoir être des morceaux d’albums, ça créé une ossature pour le disque et ainsi petit à petit l’album se fait. Il y a des albums que certains artistes font en 1-2-3 mois et d’autres en 4 ou 5 ans, ça dépend vraiment des périodes en fait. Celui-ci aura été sur un travail de 2 ans, donc voilà je suis content là d’avoir quasiment fini pour le sortir, j’espère que vous aimerez !
4) Comment as tu trouvé le temps de bosser sur l’album en étant toujours booké aux quatre coins du monde ? Comment travailles tu : plutôt en studio ou cherches tu en permanence des idées ?

Je fais des breaks dans l’année, de 3 ou 4 mois où je ne joue pas du tout, ce qui me permet de me retrouver en studio. Là je fais 4 dates par semaine un peu partout donc il est impossible de trouver du temps en studio. T’es fatigué, quand tu rentres tu te reposes, si tu as un peu de vie sociale, tu vois tes proches, si tu vas en studio c’est pour finir un remix ou quelque chose que tu as commencé, c’est très rare pour moi d’arriver à faire les 2 en même temps. Il faut que ce soit des périodes qui soient moins intensives.


5) Tu annonces la présence de beaucoup de voix sur l’album, peux tu nous donner les noms de quelques guests ?

Question bien tentée mais c’est un peu trop tôt, il y aura des chanteurs que j’aime beaucoup…


6) Les attentats, le lourd climat de l’état d’urgence en France ont-ils un impact dans ton écriture ?

Inconsciemment bien sûr, y a beaucoup de personnes qui souffrent et on essaie d’opposer cette souffrance les uns aux autres, je trouve cela très maladroit et très compliqué de construire à partir de là, ça fait un peu peur. Y a beaucoup de similitudes avec des drames qui se sont passés aux siècles derniers, j’espère qu’on aura l’intelligence tous ensemble de sortir par le haut, surtout ne pas laisser la peur s’installer, plus la peur s’installe plus ce sera compliqué.
J’espère vraiment que ce climat un peu anxiogène se dissipera. Il faut qu’on se fasse tous violence pour ne pas tomber dans la peur des caricatures. Les médias jouent un rôle compliqué, ils doivent informer et à la fois… enfin c’est une période très compliquée par rapport à tous ces évènements.

Je voyage beaucoup, je suis allé pendant la guerre du Kosovo jouer là bas, je vais très souvent à Beyrouth au Liban, je voyage souvent dans des climats où c’est très tendu et en même temps, par exemple en Israël, ils ont « l’habitude de vivre avec ça » et la jeunesse a une énergie de dingue, je souhaite qu’on ait une énergie positive en France. Avec mon pote Jacques, on a monté un sound system pendant Nuit Debout, avec des platines et 3 bouts de ficelle pour participer à cet élan. Ce n’était pas tellement une prise de parole pour ou contre une loi, c’était plus de dire : « on est ensemble, essayons de réfléchir ensemble pour nous fédérer et non pas dans le sens de la critique mais dans le sens de la communion ». Après on ne peut pas être utopiste non plus, c’est une période très compliquée, parfois je ne sais pas si j’ai envie de rentrer dans des débats politiques… Je prends la parole quand on me la donne et quand je pense que j’ai quelque chose à apporter, mais voilà j’espère qu’on aura une image positive le plus possible.
7) Tu as aussi collaboré à « The journey » de Jan Kounen, comment s’est passée la rencontre avec le réalisateur ? Comment as tu procédé pour t’inspirer de cette histoire aquatique avec des baleines ?

Jan est un réalisateur que j’adore, j’adore Blueberry, j’avais adoré Doberman. C’est un mec extraordinaire, on parle de bonnes énergies et de bonnes ondes c’est exactement l’archétype de ce genre de personne. Travailler avec lui était super excitant. on a fait plusieurs projet, un autre qui s’appelle « Vape Wave » va bientôt voir le jour, on travaille ensemble sur des vidéos, sur des longs métrages… C’est très excitant de travailler avec Jan, en même temps on est très libre et il sait quelle direction te donner. J’ai besoin parfois de quelques guides pour me donner la direction de la musique que je veux faire et c’est exactement ça, il laisse beaucoup de marges de manœuvre tout en aiguillant, et il est toujours très positif donc c’est toujours chouette.

On est parti du morceau Under the River qui est sur Impermanence pour que Jan me donne des repères, pour donner un peu la couleur à la bande originale de ce film. C’est comme ça que l’inspiration est venue, une fois qu’il y a une sorte de matrice, une sorte d’idée, après on sait dans quel tunnel on va s’engager.


8) Peux tu nous expliquer le principe de tes soirées Agoria Invites comme celle que tu as faite au Sonar off et celles que tu feras à Toulouse et Marseille ? Tu y ajoutes des invits en backstage et des restos avec toi… Pour mieux connaître tes fans ?

L’idée, c’est d’aussi bien communier avec le public qu’avec les artistes, c’est d’avoir des invités que j’adore, je leur laisse la place centrale : Donc je fais les warm up, ils jouent en tête d’affiche et après on finit ensemble, le principe est vraiment sur une idée de partage. Et puis avec le public, on essaie de leur réserver des surprises, on fait gagner 3 ou 4 personnes qui viennent dîner avec nous, des places pour venir avec nous sur scène, dans les backstages, on partage le petit déjeuner ensemble. Ce sont des choses qui sont assez simples mais justement dans cette époque où tout est très auto-centré, ce n’est pas mal aussi de dire on a tous les mêmes valeurs, enfin je l’espère, on a envie de partager ensemble. Ce n’est pas parce que moi je suis l’artiste et toi tu viens écouter la musique qu’on va jouer qu’il y a une différence. Pour moi, il n’y a pas de différence, de statut, on va se rencontrer, on est là et on va passer un bon moment ensemble.
Evidemment, je ne peux pas me permettre d’inviter 2000 personnes à dîner, ce serait invivable, on le fait à notre rythme. D’ici la fin de l’année on aura peut-être invité une centaine de personnes, à dîner, à passer la soirée avec nous, à déjeuner, mais c’est pas mal de le faire.

AGORIA 2
9) Vendredi 17 juin, tu as fais un all night long au Rockstore de Montpellier. Comment prépares-tu ces sets marathons ? Combien de morceaux as tu à disposition ? Es tu comme Lolo Garnier qui raffole des sets au long court ?

Ca faisait très longtemps que je n’avais pas joué à Montpellier, c’est une ville où je ne vais pas beaucoup en ce moment. J’y suis plus allé, il y a une quinzaine d’année. Je m’adapte toujours au public, bien sûr on a un morceau qu’on a envie de jouer, le morceau coup de cœur du mois aussi, mais évidemment on s’adapte au public. Pour moi, le bon dj est vraiment celui qui met le bon disque au bon moment ; pas tellement celui qui va sortir la dernière nouveauté, ou le morceau le plus dingue de la semaine. C’est garder une atmosphère, une vibe, pour amener le public. En fait c’est très compliqué de préparer à l’avance.

J’aime les 2, j’adore les sets courts pour l’énergie que ça donne, tu ne joues pas de la même façon quand tu joues 1h30 ; il y a une énergie qui n’est pas la même que quand tu joues 10h. Des sets de 8-10h je n’en ai pas fait beaucoup, c’était toujours des expériences inoubliables,  donc y a des moments où tu es en dehors du temps, tu penses qu’il est 2h, en fait il est 4h30, y a une dilatation du temps qui te fait jouer différemment, c’est aussi très enivrant alors que les sets courts, c’est plutôt une énergie très intense.

 

10) Une récente tournée t’as amené à Bueno Aires, Sao Paulo, comment réagit le public là bas ? Tournes tu aux States où le grand public semble plus difficile à évangéliser…

J’adore, l’Amérique latine c’est démentiel ! Pour moi le club Warung où j’ai joué, est un des meilleurs clubs au monde vraiment, c’était dingue du 1er au dernier disque, à Itajai (Brésil) sur la plage, dans le fleuve, c’est vraiment incroyable, Sao Paulo aussi c’est la Mecque du Brésil donc c’est évidemment démentiel.

Buenos Aires je jouais le dimanche à Crobar, y a eu un drame qui s’est passé en Argentine, l’atmosphère était beaucoup plus lourd, avec des messages de prévention très présents, c’est une époque pas facile peut être mais l’Argentine et un pays fantastique aussi. Et le Chili, je n’ai pas eu assez de temps pour en parler ; j’ai joué à Santiago du Chili, la soirée était chouette mais il faut que j’y retourne.

J’adore l’adrénaline et la bonhommie et l’énergie positive de cette péninsule !

Je vais souvent aux Etats Unis, j’y retourne fin août en tournée, je vais jouer à Burning Man, à Los Angeles, à New-York et dans d’autres villes. Le public est en train de changer, c’était un public très EDM mais il écoute de plus en plus de musique électronique comme on l’entend, nous. Je n’ai pas de jugement de valeur quand on va écouter des shows que ce soit de Tiesto, David Guetta, Richie ou autres, ils viennent voir un show, ils se détendent, se changer les idées, ce n’est pas comme quand on va en club devant 1500 personnes. J’ai toujours été gêné par les jugements de valeur là dessus, je pense que c’est 2 choses très différentes, et je suis content de voir qu’une partie de ce public vient dans nos soirées, vont découvrir autre chose. Donc de plus en plus je suis content d’aller jouer aux Etats-Unis car les soirées sont de mieux en mieux.

 

11) Un nouveau morceau qui va nous faire danser tout l’été ?

Ce que fait Eagles & Butterflies, j’adore, il va nous faire danser tout l’été