Dans les cimes du Paral-lel Festival

Dans les cimes du Paral-lel Festival

Ça fait déjà quelques années que j’écoute l’album de Voices from the Lake en m’imaginant danser dans la forêt et que je m’émerveille à travers des vidéos Youtube de japonais extatiques au festival LabyrinthSouvent considéré comme l’évènement outdoor de référence en matière de deep techno (les adjectifs hypnotique, dub ou atmosphérique peuvent marcher aussi – au choix) selon les aficionados du genre, celui-ci se déroule au pays de soleil levant tous les mois de septembre. L’adéquation entre sa programmation, son cadre naturel et sa jauge limitée en a fait sa réputation. Peu de propositions similaires existent en Europe à l’exception du Paral-lel festival, sur le versant espagnol des Pyrénées catalanes. J’ai enfourché mon vélo au départ de la frontière pour me rendre à sa troisième édition, les 31 aout, 1 & 2 septembre derniers.

Sur les 130km de route, impossible de passer à côté des nombreux drapeaux catalans et des banderoles « democràcìa » ou « libertat presos polìticos » suspendus aux fenêtres des habitations. Si l’on n’entend presque plus parler du mouvement pour l’indépendance de la Catalogne dans les médias français, ses partisans se mobilisent encore dans les contrées rurales de la région. Lors de mon passage dans la petite ville de Ripoll par exemple, des volontaires s’enfermaient à tour de rôle dans une cage afin de dénoncer la détention ou l’exil forcé de militants indépendantistes

Dans un tout autre registre, les organisateurs du festival Paral-lel entretiennent eux aussi un esprit de communauté. Le terme est souvent employé dans la communication du festival et les organisateurs comparent l’évènement à un « gathering » (« rassemblement ») basé sur trois dimensions : « Nature, music, intimité ».

 

NATURE

Le rendez-vous est donné sur le domaine d’un hôtel isolé dans les montagnes à 1000m d’altitude. Contraint de déménager des lieux utilisés pour les deux précédentes éditions, le festival utilisait ce spot pour la première fois. Il faut emprunter une route qui serpente pendant une dizaine de kilomètres à travers les pins au-dessus du village de Guardiola de Bergueda (1h30 de voiture au nord de Barcelone, 2h30 à l’ouest de Perpignan) pour y accéder. Soucieuse de réduire l’empreinte carbone du festival et de préserver de bons rapports avec la population locale, l’organisation a mis en place une taxe verte de 4,95€ pour chaque véhicule motorisé – une somme intégralement reversée à une association locale luttant contre les feux de forêt. Arrivé sur les lieux, tout le monde se voit remettre un sac poubelle, un cendrier portable ainsi qu’un petit guide comprenant des recommandations telle la priorité de « laisser les montagnes dans l’état dans lequel nous les avons trouvées ».

Celles et ceux qui ont choisi l’option « glamping » reçoivent en plus un kit de camping et ont des tipis déjà montés qui les attendent (« ça me coûte plus ou moins la même chose que d’amener mon propre matériel en soute » m’explique une festivalière néerlandaise venue en avion). Les autres s’activent à monter leurs tentes. Enclos à chevaux sur le côté, étang central, douches extérieures formées en bottes de paille ; l’aire de camping affiche un visage champêtre et offre un superbe panorama à 180° sur les falaises environnantes. Caché derrière des arbres, l’hôtel où logent les artistes et les membres de l’organisation se fond dans le décor avec son revêtement en pierres.
On doit grimper une petite colline et passer de l’autre côté du domaine pour gagner le dancefloor qui présente d’impressionnantes vues sur d’autres chaînes de montagnes. On découvrira de nouveaux paysages tout au long du week-end au fil du jeu des nuages. La décoration est ultra sobre voire inexistante si ce n’est le chapiteau pour chiller/manger et les toiles en forme de coquilles qui protègent le DJ booth et les enceintes. La nuit, la scène s’éclaire et des lumières tournoyantes sont projetées sur les arbres qui bordent le dancefloor. Dame Nature occupe effectivement le premier rôle.

MUSIQUE

Le festival compte une seule et unique scène. Sa programmation entend explorer « les territoires les plus profonds et psychédéliques de l’ambient et de la techno » et est pensée comme une trame narrative avec des performances choisies pour s’enchainer de la manière la plus cohérente possible. Derrière ce travail de programmation, deux artistes eux-mêmes présents sur le line-up : Refracted et Guillam.

Ce dernier ouvre le bal avec un set ambient dont le côté mystique sera renforcé par une averse et un sombre crépuscule. Seconde artiste du vendredi, Izabel enchaîne sur un flot de fréquences basses sans s’enfermer dans des cases rythmiques, explorant un versant expérimental sur lequel le public se laisse onduler. Alan Backdrop poursuit avec un virage plus dance avant que le duo natural/electronic.system ne conclut la soirée sur une lente techno hypnotique. Le deuxième jour concentre les sets qui ont le plus touché ma sensibilité, avec les prestations de Valentino Mora et celle de Forest Drive West en tête de file. Le premier développera une lourde vibe tribal et sensuelle (en jouant par exemple cette moite sortie de son label ou ce track absorbant d’Abdullah Rashim) , avant que le second oriente habilement l’histoire vers des recoins plus breakées et caverneux. Refracted haussera le ton avec une techno mentale énergique puis Dasha Rush s’occupe du reste de la nuit – elle signera notamment l’un des climax du festival avec ce morceau, l’un des rares du week-end à comprendre des vocals. Le dimanche concentrera 4 lives. Je loupe celui de TM404 et je me réveil au son de celui de Luigi Tozzi – j’y reconnais notamment cette relecture de la B.O de Twin Peaks. Originellement programmé la veille mais ayant rencontré des problèmes pendant sa performance, Wata Igarashi et ses machines viennent s’intercaler avant le set de Patrick Russel et le live de fin de Tobias.

 

Par son côté minimaliste (qui peut s’avérer relativement exigeant pour des oreilles non-initiées), la musique me semblera entrer en résonance avec l’environnement naturel tout au long du week-end, reflétant une certaine beauté mystérieuse. Avec des sets allant jusqu’à des durées de 3h ou 4h, les artistes ont le temps de dépeindre des univers dans le détail et jouer de subtilités. Tout-e-s ont l’air heureux-ses d’être là, on en voit certain-e-s négocier un morceau supplémentaire et il n’est pas rare d’en croiser entrain de danser au milieu du public.

Mention spécial pour la qualité du soundsystem qu’on entend très bien de loin et dont le volume est supportable de près. J’apprécie aussi les horaires qui font la part belle à la journée (musique de 18h à 3h le vendredi, de 12h à 5h du matin le samedi et de 12h à 21h le dimanche) et qui permettent de profiter sans manquer trop de sommeil.



INTIMIT
É

La règle d’or est annoncée sur le petit manuel distribué à l’entrée : « traitez tout le monde de la manière dont vous aimeriez être traité ». Quasi-absence d’agents de sécurité (j’en aperçois quelques-uns le vendredi seulement pour accueillir les festivaliers) et aucun comportement agressif observé sur le week-end. A vrai dire, les gens sont vraiment friendly et ouverts d’esprit. Grâce à la capacité de l’événement limitée à 1 000 personnes, les visages deviennent vite familiers et peut s’installer une certaine complicité. Des personnes rencontrées le soir peuvent vous étreindre le lendemain au lever pour vous saluer. Beaucoup (femmes comme hommes) se douchent nu-e-s à la vue de tou-te-s dans les douches extérieures, continuant parfois à discuter comme si de rien n’était. Respect et confiance sont palpables.

 

International, le public est formé – à vue de nez – majoritairement d’espagnols, de français, anglais, allemands et néerlandais. On retrouve bien sûr d’autres nationalités dont un contingent de japonais, qui pour certains reviennent chaque année. C’est ce que m’explique l’un d’entre eux lorsqu’il m’invite à partager son plaid installé au bord du dancefloor pour contempler les étoiles. Beaucoup se posent à côté du son la journée pour en profiter en flânant, en lisant, en jouant au frisbee ; des chiens se baladent dans le public et des hamacs sont tendus dans la forêt. Certain-e-s explorent le domaine à pieds et profitent des différents points de vue. Le dimanche, on peut voir une femme à l’écart de la piste qui danse avec son bébé (protégé d’un casque sur les oreilles) contre elle, alors que les volontaires de l’asso forestière s’amusent à rafraîchir la foule avec le jet d’eau de leur pick-up citerne.

Les danseur-se-s sont généreux en mouvements et en applaudissements. La malice des substances se lient sur les visages de certain-e-s mais chacun-e redevient attentif et poli dans sa communication ou s’excuse en cas de bousculade. 

BILAN

Paral-lel réussit comme annoncé à créer une expérience immersive, basée sur un lien fort entre la nature, la musique et la connexion entre les gens en plaçant l’artistique et le confort de l’audience au premier plan. Deux semaines plus tard, je m’écoute la playlist collaborative des morceaux identifiés par les festivaliers en repensant à l’évènement comme l’un de ces voyages qui font encore mieux aimer la musique et la vie.

Photos : Didac Ramirez, Jorge Gomez & Amr Mohsen