Bons baisers du Paral-lel Festival

Bons baisers du Paral-lel Festival

La quatrième édition du Paral-lel festival se tenait les 30, 31 aout et 1er septembre derniers sur la commune de Guardiola de Bergueda dans les montagnes catalanes. On n’a pas trouvé le temps de vous envoyer de carte postale mais on y était. Pour se faire pardonner, voici notre journal de bord de ces trois jours de symbiose entre deep-techno, ambient et Pyrénées :

9h25, vendredi – Kérosène blues

Dix-sept heures de bus dans les pattes et une nuit d’air trop climatisée dans les bronches, mon collègue photographe Bruno et moi-même débarquons à Barcelone. On a rendez-vous à 15h à l’Arc de Triomf (le cousin catalan et en briques rougeâtres du monument qui se trouve en bout de « nos » Champs Elysées) pour attraper l’une des navettes mises en place par l’organisation qui nous hissera jusqu’au festival.  On profite de ce temps mort pour jouer les touristes à la Sagrada Familia. Une fois dans le bus, on échange sur la tournure que prendra ce report. Le slogan du Paral-lel étant « musique, nature et intimité » et compte tenu du cadre grandiose sur lequel s’appuie l’évènement, j’ai envie d’entendre les réflexions des festivaliers sur leur rapport à la nature. Avoir des discussions franches et sans jugements sur le sens de se réunir le temps d’un weekend pour faire la fête dans les montagnes, souvent à des milliers de kilomètre de son domicile, en s’y rendant en avion pour certains. Les vols sont de moins en moins chers et on voit fleurir de plus en plus de festivals, qui représentent désormais un large pan de l’industrie musicale. Ce week-end est peut être l’occasion d’avoir un aperçu de comment chacun se sent par rapport à ces informations et à l’impact de nos habitudes de consommations. Bruno me remet dans le droit chemin : « c’est intéressant mais c’est un sujet plus adapté à une thèse qu’à un report de festival ». Pas faux. Et pour être honnête, je n’ai pas envie de passer mon week-end à jouer les troubles fêtes. On parlera dissonance cognitive plus tard.

17h11, vendredi – Bison futé

Arrivée sur le site. Grâce aux bracelets d’entrée distribués dès Barcelone aux festivaliers venant en bus (plus de la moitié selon l’orga), la file d’attente est quasi inexistante, on entre comme dans un moulin. Bien ouej !

18h05, vendredi – Family time

Tente montée, on se pose devant le set de Huerco S. Chacune des trois journées du Paral-lel commence par de l’ambient et le new yorkais ouvre les festivités avec de belles nappes aériennes. Autour de nous, c’est l’heure des retrouvailles : les gens se prennent dans les bras et des cercles se forment. Les t-shirts ornés des logos des labels Hypnus ou Silent Season poussent comme des champignons. Pas de doute, on est bien dans un lieu de pèlerinage pour fétichiste de la deep techno. Je reconnais des visages croisés l’an dernier et il y a même quelques figures de la scène qui ne jouent pas ce week-end et qui semblent être là uniquement pour kiffer (spoted : le duo natural.electronic/system ou le boss du label Midgar).

22h25, vendredi – Sobriété heureuse

Après un petit tour du propriétaire, on se rend compte que la recette « physique » n’a pas changée : mille entrées, une tonnelle pour le bar, deux autres pour chiller, une seule scène en forme de cocon et basta. Comme nous le fait remarquer un habitué, « le Paral-lel, c’est la simplicité ».


01h02, samedi – Jean qui rit

La foule applaudit le passage d’une méga étoile filante dans le ciel pendant que Svreca déroule un set très hypnotique mais monotone à mon goût. J’ai du mal à me mettre dedans après le live tout en relief du duo Crossing Avenue. Il est marrant d’observer que si le festival dispose d’une aura particulière (sold-out depuis Mai) et d’une ligne artistique assez intransigeante à base de musique qui peut sonner « sérieuse » voir « dark , le public semble avant tout être là pour se marrer. Respect à cette fille qui brandira énergiquement une pancarte « super » tout le week-end.

14h35, samedi – Vamos a la …

Shit, y a la queue aux douches. Avec un autre festivalier, on s’accorde sur le fait qu’on regrette celles de l’an dernier, en extérieur et délimités par des ballots de paille, plus nature et plus fluide que ces préfabriqués. Pas grave, on a trouvé l’accès à la piscine de l’hôtel où logent les artistes et l’orga – accessible à tous mais relativement caché car pas indiqué. Ambiance studieuse sur la terrasse d’à côté, un workshop sur la manière de mixer et traiter des sons en live sur le logiciel Ableton vient de se terminer.

15h40, samedi – Lucid Dream in the Sky

Le vétéran espagnol mouseDown sculpte une ambiance sonore aux textures organiques irradiantes de vibes chaleureuses – belle découverte pour ma part.
Depuis le pissoir qui offre un panorama idyllique, j’admire les courbes d’échancrures des montagnes d’en face, les nuances de vert de l’herbe qui ondule au rythme du vent, la nature éthérée des nuages, la subtilité et la complexité de leurs mouvements. Je me dis que ce seul spectacle céleste pourrait faire l’objet d’un festival.



19h30, samedi – Microclimat

« Four seasons in one day » disent les irlandais pour parler du climat de leur île. Pareil pour le versant des Pyrénées où l’on se trouve aujourd’hui. Après le soleil, puis les nuages et le vent, une grosse averse s’abat sur le dancefloor pendant que Refracted s’éclate derrière son controler. Une partie des danseurs part se réfugier sous le bar, l’autre passe en mode danse de la pluie telle une tribu. Bruno et moi faisons partie de cette dernière catégorie. En fin, jusqu’à ce qu’on parte en courant vers notre tente qu’on réalise avoir laissé ouverte. Agréable surprise en arrivant, une âme bienveillante s’est déjà chargée de la refermer. Bienveillance est vraiment un maître mot pour résumer l’ambiance qui règne entre les festivaliers : on peut laisser trainer ses affaires sans craintes et les gens se témoignent de l’empathie et des attentions à la moindre occasion. Pour l’heure, ce sont les voisins qui sauvent Bruno en lui prêtant une bâche « aéroport de Brest » dans laquelle étaient emballés leurs bagages pour qu’il s’en taille un poncho. Niveau dégaine on est entre bob l’éponge et une montgolfière, mais le gars est au sec.

23h55, samedi – Maestras

Adiel enchaîne les vinyles depuis bientôt quatre heures et, à l’image des tonalités incroyables du coucher de soleil de tout à l’heure, transporte le festival dans un voyage riche en couleurs. A minuit Rrose prend la suite avec son live et recommence à zéro en changeant complètement de mood. Elle nous enveloppe d’abord dans des couches ambient avant de faire re-monter progressivement la pression et les pulsations. C’est tellement bien fait qu’on s’est remis à danser sans s’en rendre compte.

05h10, dimanche – Fin de cycle

Direction la tente pour un repos bien mérité. On vient de se faire laver le cerveau par Mike Parker, un set de techno intense et chirurgicale qui vient conclure une longue et belle journée de 17h de musique. Le calme règne sur le camping, on apprécie que le sommeil de chacun soit respecté lors des coupures de musique (entre 3h et 12h le samedi, et 5h et 12h le dimanche).

12h47, dimanche – « Le glamping c’est le camping des glands ? »

Apéro matinale autour d’un pastis offert par les voisins. Bien que l’on saisisse l’aspect pratique pour ceux et celles qui viennent en avion, on s’interroge sur « la division de classes » entre campeurs que crée les tipis de l’espace glamping (contraction de glamour et camping). Ça discute aussi musique et rythmes euclidiens. Au fil des rencontres, je réalise que beaucoup de festivaliers sont de vrais passionnés qui ont eux-mêmes une pratique musicale.

15h15, dimanche – Vignette panini

Un pote me fait remarquer que le DJ suisse Garçon ressemble étrangement au footballeur Eden Hazard. Sur le terrain les corps ondulent, une énergie primale et viscérale se dégage de son set. Son enthousiasme derrière les platines est communicatif – il danse, il rit, il saute – et la tension entre les tracks totalement maitrisée.

17h10, dimanche – Gaston Lagaffe

Je me sens terriblement gêné pour le technicien qui vient accidentellement de faire déraper le vinyle que jouait Dozzy en mettant un coup dans la tête de lecture de la platine. Le magicien italien parait passablement énervé et quitte le DJ booth. Belle réaction du public qui se déchaîne en applaudissements. Donato revient au bout de quelques secondes et le sourire regagne rapidement son visage, il finira même par rallonger son set d’une heure, délivrant une expérience ultra trippy dont il a le secret. On le voit régulièrement regarder le ciel comme pour adapter la sélecta aux éléments – une impression renforcée lorsque la pluie réapparait et qu’il lâche la cavalerie avec cette track.

21h10, dimanche – Surprise

La musique est coupée depuis quelques minutes et une importante quantité de déchets se découvre sous nos yeux au fil que le dancefloor se vide. Décevant de la part d’un public venu célébrer la musique et la nature dans un cadre dont le caractère pur et grandiose invite pourtant au respect. Trêve de moralisme, une autre information éveille rapidement notre attention : un after se tramerait à l’hôtel selon la rumeur. Grâce à sa taille humaine, le festival permet de recroiser souvent les mêmes personnes et de nouer rapidement des relations amicales. On se presse de former une équipe composée de belles rencontres du week-end pour se mettre sur la piste (c’est d’ailleurs l’un de ces esprits malicieux qui surnommera mon binôme photographe Bruno – on conservera ici ce patronyme pour le clin d’œil.)

23h, dimanche – « Ils ont mis le paquet sur le budget éclairs »

Effectivement, il y a bien de la musique à se mettre sous la dent : pas de DJ mais un mix soundcloud qui tourne sur un ordi. Une foule d’une centaine de survivants s’agglutinent autour des deux enceintes sur la terrasse qui borde le restaurant de l’hôtel. La pluie se met à tomber et, pendant plusieurs heures, des éclairs d’orage viennent percer l’obscurité en éclairant sporadiquement les montagnes environnantes. Comme si les forces mystiques qui planent sur les Pyrénées nous offraient un bouquet final naturel.

Photos : Florian Simonot aka Bruno
Texte : Paul Herincx